
« Va te faire enculer salope… Va te faire enculer, connard… » Ce furent leurs premiers mots. Les paroles d’une chanson de rupture où un garçon et une fille s’envoient des injures d’amour à la figure. Lui, c’était Raph’, elle Adé. Leur groupe : Therapie Taxi. « On nous avait dit : mais vous êtes fous, qui va vouloir chanter ça ?… » Ce fut un tube. Et là, ce vendredi 8 octobre, au Zénith de Paris, ce sont 6 000 personnes qui le reprennent en hurlant à se faire brûler les poumons. La dernière chanson du dernier concert de leur dernière tournée. Le mot de la fin.

Il y a des enterrements plus joyeux que d’autres. Celui-là est à mettre dans les annales des veillées funèbres à réveiller les morts ! « Etes-vous prêts à chanter, danser, suer toutes les gouttes de votre corps pour se quitter de la meilleure manière possible ? », harangue le chanteur à une foule qui ne demande pas mieux que de noyer son chagrin du post-Covid. 6 000 personnes sans masques (« c’est recommandé mais pas obligatoire », m’explique-t-on) mais avec passes sanitaires qui redécouvrent le plaisir des BPM incendiaires et des liesses populaires.
« Bienvenue dans le monde d’avant », s’amuse Loris, 22 ans, étudiant, T-shirt post mortem de son groupe fétiche sur le dos. Un peu plus loin, enlacées, Julie et Lucie, 26 et 34 ans, venues de Mantes-la-Jolie (Yvelines), font contre mauvaise fortune bon cœur le deuil d’une musique qu’elles résument « sexy, hyperinclusive et hyperlibératrice ».
Le premier album de Therapie Taxi s’était vendu à presque 200 000 exemplaires, le deuxième a été fauché par la pandémie qui a repoussé puis annulé la tournée qui devait en faire la promotion. Quelque 30 000 exemplaires seulement. De quoi dégoûter ses créateurs ? Encore un couple – de scène, en l’occurrence – dont le confinement aura coûté la perte ? C’est plus compliqué que ça. Les groupes naissent et les groupes meurent. Raphaël Faget-Zaoui et Adélaïde Chabannes de Balsac le savaient, eux qui avaient fait de l’éloge de la rupture, la matière première de leur variété pop joliment dévoyée : ça ne durerait pas toujours. Ce n’était pas fait pour durer.
Ce qui n’empêche pas la jeune femme de ravaler ses larmes au dernier couplet, et le jeune homme de soigner sa tristesse dans sa loge alors que les derniers aficionados quittent la salle à reculons, chemises et âmes trempées par cette élégie survitaminée. « Franchement, à dire la vérité, je ne réalise pas, je n’arrive pas à réaliser », soupire Raph, les tatouages encore dégoulinants, la fatigue et l’épuisement de cette tournée suintant de tous ses pores, et la mélancolie trimballée de morceau en morceau, trouvant là libre court à s’échapper.
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