RécitDe Georgia O’Keeffe vêtue de ses austères tenues noires à Joan Didion en col roulé, de Simone de Beauvoir coiffée de son turban à Françoise Sagan en habits masculins, ces femmes ont fait de leur garde-robe un uniforme, miroir de leur personnalité.
Le parcours de la récente exposition « Elles font l’abstraction », qui s’est tenue jusqu’à cet été au Centre Pompidou, ne débutait pas avec des œuvres. Mais avec des portraits. Avant d’entrer dans la première salle, en se tournant vers un grand mur blanc, on découvrait soixante-dix photographies, le plus souvent en noir et blanc, présentant les visages des artistes exposées, peintres, sculptrices, plasticiennes, connues, méconnues ou carrément inconnues. Leur seul point commun ? Avoir été méprisées de leur vivant.
« Mon idée, explique Christine Macel, commissaire de l’exposition, c’était justement de les rendre visibles, et que le visiteur puisse parcourir les salles en étant imprégné de leurs personnalités. » Les images de ce mur d’introduction valaient tous les cartels, toutes les biographies. En un clin d’œil, le visiteur comprenait tout. De chaque femme portraiturée, artiste des avant-gardes russes, peintre américaine de l’après-guerre ou sculptrice minimaliste de la décennie 1970, émanait l’élan de la liberté qui l’avait animée, la fronde menée contre la misogynie du monde de l’art.
Leur apparence a incarné le travail
Les réseaux sociaux d’ailleurs ne s’y sont pas trompés. Sur les comptes Instagram des visiteurs du Centre Pompidou, les images de ces artistes ont beaucoup circulé et parfois supplanté les œuvres : portraits de femmes dans leur atelier, vêtues de tuniques couvertes de taches de peinture ou aux manches déchirées ou, à l’inverse, personnalités à l’allure impeccable, robes brodées ou très colorées.
Ce genre d’images, dites « inspirantes », sont courantes sur Instagram ou Pinterest, qui chérissent ce type de portraits « vintage ». Sur ces réseaux, on trouve de nombreuses artistes, philosophes, écrivaines… Des femmes de tête d’autant plus remarquables qu’elles cohabitent avec des cohortes de pop stars et autres influenceuses.
Mais Simone de Beauvoir et son célèbre turban coiffant un visage concentré, Susan Sontag et ses pulls à col roulé sombres, Toni Morrison et ses costumes masculins, ou Françoise Sagan, avec ses chemises aux imprimés zèbres éclatants, ont marqué leur discipline, et leur apparence a incarné le travail, la pensée, l’importance.
« Toutes ces femmes sont des personnalités qui se situaient loin du secteur de l’habillement, estime Miren Arzalluz, directrice du Palais Galliera, Musée de la mode de la Ville de Paris. Mais leur originalité marque encore aujourd’hui, d’autant qu’il s’agit souvent d’un détail, d’une manière de nouer un foulard, de laisser une chemise dépasser du bas d’un pull, d’une façon de porter une veste de costume, sans avoir enfilé les manches ou en les ayant retroussées. Il est facile de s’en inspirer. »
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