Fragments de FranceSur l’itinéraire cyclotouriste le plus emprunté de France, des jeunes parlent apocalypse en pédalant et jurent de ne plus prendre l’avion, tandis que les retraités se découvrent de nouveaux horizons.
A 18 h 55, cinq minutes avant la fermeture, Augustin Vautier a pointé au comptoir du camping de Saumur (Maine-et-Loire), trogne écarlate, tee-shirt trempé, mollets gorgés de lactate. L’effort tout juste produit sur les bords de Loire pour arriver à l’heure lui a permis de décrocher un emplacement à 9 euros et un titre de bravoure décerné par ses trois camarades, qui traînaient en amont du fleuve. Le sacrifice d’Augustin, « le plus sportif des quatre », se racontera comme une bataille napoléonienne à l’heure de la bière salvatrice, quand le houblon dissout les petites souffrances, les irritations du fessier, les erreurs de parcours du jour.
Le quatuor relie Nantes depuis Tours, trait d’union entre les écoles d’ingénieurs de Tom, Léon, Chloé et Augustin. L’aspirant ingénieur a choisi la Loire à vélo, itinéraire le plus emprunté du pays, pour sa première expérience de cyclotourisme. Un trait commun à beaucoup de voyageurs croisés en ce mois de septembre, reflet d’une forte augmentation de la pratique depuis le premier déconfinement, au printemps 2020. Tous ont aussi en commun de pédaler dans la bonne humeur. Pas de fâcheries inutiles, peu de bile déversée dans les discussions guidon en main, qu’il s’agisse d’évoquer les vaccins, le travail, la retraite, la présidentielle et le monde comme il va. Les pistes cyclables rendent aussi loquace que les bistrots, mais on y est plus sobre, peut-être plus aimable.
Avant son sprint vers Saumur, Augustin Vautier serpentait entre les vignes de Chinon (Indre-et-Loire) et sa centrale nucléaire décatie. Prêt, s’amuse-t-il, en cas « d’apocalypse climatique, à monter un lieu autosuffisant avec des potes, et à attendre ». Si l’apocalypse ne vient pas, il se voit dans la préservation de l’environnement, côté matériaux, recyclage ou écoconception. Il mange bio et local, a réduit sa consommation de viande au minimum socialement acceptable, prône la fin de l’avion et de la voiture individuelle. « Parmi mes amis, je reste une anomalie, même si désormais chacun comprend, chacun fait attention. »
Bulle de tranquillité
La sobriété est une éducation, le vélo une façon de la vivre. Pique-niquant un peu plus loin, Hugo a empilé ses écorces de melon sur une plage des bords de Loire. Sa copine, Nolwenn, 26 ans, partage avec lui quelques convictions « alternatives » et « une maison à retaper dans un bled perdu de Mayenne ». Ils ne veulent plus prendre l’avion, la voiture les fatigue, le train coûte cher, reste le vélo : ils y ont trouvé « une sensation de liberté et d’indépendance ». Angers-Tours en cinq jours. Le voyage s’alentit. Hugo rêve : « Le changement de société passera par un changement d’agriculture. Il faut que des petites fermes se montent partout et vendent en circuit court, car la Biocoop coûte trop cher. » Nolwenn, emplie de fierté : « C’est ce qu’il va faire ! » Un verger, huit hectares avec des moutons en contrebas, des poules peut-être. Pommes, poires, raisins, kiwis, abricots, que le réchauffement fait désormais pousser en Mayenne.
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